Kalimera
Invité

|

|
Lettre
à mon départ
« le: Décembre 26, 2006, 08:02:45 »
|
|
Lettre
à mon départ
Aujourd’hui, au terme de mon temps passé à servir la Légion
Etrangère, je me retourne sur les 17 années vécues dans l’institution.
D’aucuns diront que c’est peu ! A ceux-là je répondrai que l’on ne
quantifie pas son passage dans la Légion. On ne le mesure pas en terme de
temps écoulé, mais plutôt en terme de qualité, où chaque moment vécu est
un moment intense. Intense par sa grandeur, sa force, sa violence.
Intense par l’expérience vécue, la richesse des moments passés. C’est en
terme de respect de la parole donnée que l’on juge son passage et son
parcours dans la Légion. On peut alors, évoquer les raisons de son
engagement, en tirer les enseignements majeurs, afin de mettre en lumière
les motifs de son départ.
Si j’ai choisi de
servir dans les rangs de la Légion Etrangère c’était surtout pour tenter
d’accéder à l’excellence et échapper ainsi à la médiocrité, la petitesse
des sentiments, à l’étroitesse d’une vie réglée, conformiste et étriquée.
Je pouvais ainsi me réaliser complètement et vivre intensément à
l’intérieur de ce groupe qui s’apparente plus que nulle part ailleurs à
une famille. C’était également le désir de servir profondément et
utilement, avec cette force irrationnelle qui mène à l’abnégation, au
sacrifice, au don de soi.
-« Pour moi
France, n’est pas un vain mot, et ce qui donne un sens à la vie, donne un
sens à la mort. »
Fort de cette conviction initiale, cet élan à toute épreuve, j’ai
pratiqué mon métier de soldat sans que rien ni personne ne puisse
ébranler cette foi indestructible et pure. Du moins, je le pensais au
début…
Mais le temps
passe, plus je gravis les échelons de la hiérarchie, plus j’accède aux
postes de commandements ou de responsabilités intermédiaires, et plus les
réalités me sont apparues tronquées. Par dessus cette désillusion, se
greffe un contexte ou l’armée se transforme, se modifie, opère sa
mutation ; tant dans ses structures que dans son esprit. Dès lors,
certaines valeurs, dans lesquelles on croît, perdent de leurs crédits, de
leurs importances, de leurs vernis. Le résultat : Une nouvelle race de
chefs est née : calculateurs, carriéristes, arrivistes, opportunistes, et
pusillanimes.
-« Le soldat,
finalement, pardonne mal à ceux de ses chefs qui ne le conduisent pas, en
temps opportun, à se dépasser. »
Mais la question essentielle que doit se poser un soldat aujourd’hui,
c’est de
savoir pour qui il devra mourir demain.
Les notions de patrie, de terre sacrée, de liberté, paraissent bien
désuètes dans cet environnement géopolitique et il faut craindre que
toutes ces notions, soient fondamentalement bouleversées. Je crois
désormais, que nous nous battons au profit d’une superpuissance : les
Etats-Unis. qui dans leur rôle de ‘gendarmes’ du monde y trouvent
les avantages que l’on connaît ! J’ajoute que nous sommes devenus des
mercenaires à la solde de nos gouvernements, mais travaillant pour les
besoins de la cause économique et industrielle. La guerre du Golfe en est
la parfaite illustration, de même que la mise en place d’une plate-forme
américaine au Kosovo. Un seul enjeu : asseoir une présence durable
et rayonner dans le secteur.
Le doute insidieusement s’installe, la
résignation et l’indifférence érodent lentement la conviction initiale.
Le métier de soldat est un caractère unique et seule une vocation sûre
peut permettre au chef de se révéler dans les temps difficiles, de
s’imposer, d’insuffler sa foi et son ardeur pour galvaniser et
transcender ses hommes. Il faut réellement une foi intacte, immaculée,
sauve, pour prétendre continuer de servir, qui plus est, dans la Légion.
Servir, prend tout son sens chez nous, car il allie fidélité au respect
de la parole donnée, le caractère sacré de la mission confiée. Alors,
devant cet état de faits, qui s’oppose à mes aspirations, mes espérances,
mes besoins, il est préférable de quitter un métier dont la pratique est
incompatible avec les faux-semblants. Néanmoins, je pars fier, du chemin
parcouru, satisfait du travail accompli, heureux d’avoir appartenu à
l’élite. Je pars, acquis à la cause, d’avoir eu les meilleurs amis du
monde. J’ai une pensée pour tous mes frères d’armes, tombés devant moi ou
sur d’autres théâtres.
-« Lorsque l’oubli se creuse
au long des tombes closes, je veillerai du moins et n’oublierai jamais.
».
Car, c’est mourir vraiment, que
de finir par oublier.
|